Le numéro 40/2 de la revue Recherches en Didactique des Mathématiques rassemble trois articles qui ont en commun de s’intéresser, chacun à sa manière, aux difficultés d’apprentissage des élèves.
Elles peuvent concerner, comme c’est l’objet de l’article proposé par Patricia Marchand, la conversion de connaissances générales en savoir mathématique : l’article se penche sur le cas particulier de la dialectique entre connaissances spatiales et connaissances géométriques. Il relate l’expérience d’une recherche collaborative menée à l’école primaire au Québec, portant sur un type d’enseignement visant à soutenir l’apprentissage de certaines connaissances spatiales. Patricia Marchand expose le cadre théorique qu’elle a construit pour cerner le concept, puis pour développer des connaissances spatiales chez les élèves en parallèle avec des connaissances géométriques. Les élèves suivent alors un processus itératif en plusieurs niveaux d’abstraction que l’auteure désigne chronologiquement des termes d’abstractions archéologique, photographique et scénographique. L’expérimentation relatée dans l’article utilise un « tangram » dont la forme évolue pour faire travailler ces différents niveaux d’abstraction par des élèves de premier cycle primaire. Des annexes permettent de porter à notre connaissance le même type d’expérimentation ; cette fois en géométrie dans l’espace et pour des élèves de 14-15 ans. L’auteure ancre les recherches qu’elle mène dans un mouvement plus large qui, nous dit-elle, se développe au Canada et aux États Unis, et a pris pour nom la « spatialisation du curriculum ». La modélisation didactique de la notion de curriculum constituait l’un des thèmes de la XXe école d’été de didactique des mathématiques. Ces travaux seraient certainement à même d’éclairer les prolongements du travail envisagés par l’auteure.
Sans négliger la prise en compte de leur rapport aux mathématiques, les difficultés des élèves peuvent être principalement attribuées au savoir lui-même : dans l’article de Patricia Marchand, la modélisation géométrique de l’espace sensible constitue une difficulté d’apprentissage bien connue. Le point de vue développé dans les deux articles qui suivent, ceux de Catherine Houdement et Edith Petitfour d’une part et de Florence Peteers d’autre part, est autre et semble faire davantage porter le regard sur l’élève. Le premier concerne l’enseignement spécialisé et questionne le rôle d’aide ou d’obstacle joué par la manipulation de matériel par des élèves en difficulté lors d’une séance d’enseignement sur la numération décimale. Le second, qui porte sur un objet voisin – le concept de nombre –, interroge les troubles des apprentissages en mathématiques à partir du croisement d’une approche cognitive et des résultats et concepts venus de la didactique.
L’article de Catherine Houdement et Edith Petitfour convoque la sémiotique de Peirce et de ses utilisateurs, notamment en didactique des mathématiques, pour interroger l’efficacité de la manipulation d’objets. On sait qu’une idée assez répandue voudrait que les pratiques enseignantes qui insistent sur la manipulation « d’objets concrets » soient le gage d’un enseignement assurant un cheminement plus aisé vers l’abstrait et donc vers le savoir. L’enseignement, dont l’article relate l’observation et l’analyse, concerne trois élèves de 12-13 ans en Institut Médico-Éducatif, utilisant un matériel fait de bâtonnets et de craies, censé faciliter leur l’apprentissage de la numération décimale. Le travail exposé dans l’article porte sur l’étude, pour chacun des élèves observés, de l’usage différencié, et plus ou moins efficace, du matériel et de son utilisation afin de parvenir à remplir des tableaux à double entrée représentant des bons de commande de craies. Il souligne la grande sensibilité des élèves aux signes dans l’enseignement spécialisé. L’analyse du rapport au matériel et aux tableaux est menée à travers les concepts de dissonances sémiotiques et de bifurcation procédurale, tandis que sont pris en compte, pour chacun des trois élèves, la nature et les effets de l’étayage par l’enseignante.
L’article de Florence Peteers, issu de sa thèse, interroge les tests destinés à des élèves de fin de CP, voire légèrement au-delà, portant sur l’abord du nombre et provenant de deux cadres différents : d’une part les recherches en didactique sur l’apprentissage du nombre, d’autre part la cognition numérique. Parmi les tests évalués, quatre sont utilisés dans un cadre scolaire, s’appuient sur des savoirs issus de la didactique et n’ont pas de visée diagnostique, tandis que six autres tests sont utilisés dans les secteurs médical ou paramédical et servent à repérer les difficultés d’enfants dans les apprentissages en mathématiques. Une analyse comparative des deux types de tests permet tout d’abord de relever que les tests s’appuyant sur la didactique mettent en avant les fonctions du nombre et ceux issus des neurosciences visent plutôt l’évaluation des représentations analogiques. L’auteure propose ensuite un dispositif de tests sous forme de quatre modules passés auprès de 18 élèves de 7 à 9 ans, répartis en trois catégories : aucune difficulté, signalés en difficulté sans être diagnostiqués, en difficulté et diagnostiqués en tant que tels. L’article discute les résultats obtenus. Il inscrit le développement du dispositif dans le cadre plus large de l’identification par l’enseignant des difficultés relatives aux premiers apprentissages numériques et la facilitation de la communication enseignant-orthophoniste.
Nous vous souhaitons bonne lecture de ces trois articles, qui témoignent de la variété des thèmes de recherche et des cadres théoriques mobilisés par la communauté francophone de didactique des mathématiques.
Editorial (EN)
Volume 40/2 of the journal Recherches en Didactique des Mathématiques presents a collection of three papers that address, in different ways, students’ learning difficulties.
These can concern the transformation of personal knowledge of a general character into shared mathematical knowledge, as in the paper by par Patricia Marchand: this paper examines the particular case of the dialectic between spatial knowledge and geometrical knowledge. The paper is based on a collaborative research experiment carried out in primary school in Quebec, investigating a specific kind of teaching that aims to support the learning of certain forms of spatial knowledge. Patricia Marchand exposes the theoretical framework, which she constructed to define the notion of spatial knowledge and to develop it in students, in parallel to geometrical knowledge. The students engage then in an iterative process with several levels of abstraction, which the author specifies chronologically as archeological, photographic and scenographic abstractions. The experiment reported on in the paper makes use of a “tangram” whose shape evolves in order to allow preschool students to work at these different levels of abstraction. The appendices inform us of similar experiments undertaken with 14-15 year old students learning spatial geometry.
The author bases this research in a broader movement, which she finds to be developing in Canada and the United States, under the name of “spatialising the curriculum”. The didactical modeling of the notion of curriculum constituted one of the themes of the twentieth ARDM summer school in Didactics of Mathematics. Its works could certainly inform the extensions of the paper to be undertaken by the author.
Without failing to take into account their relation with mathematics, the difficulties of students can first of all be attributed to the knowledge itself: in the paper of Patricia Marchand, the modeling of the geometry of space constitutes a well-known challenge for learning. The viewpoint developed in the two papers that follow – those of Catherine Houdement and Edith Petitfour on the one hand, and the paper by Florence Peteers on the other – are different and appear to focus more on the student. The first paper concerns special education and questions the roles of the support and the obstacles which the manipulation of concrete objects plays during a teaching session on decimal numbers. The second paper, which treats a related subject – the notion of number – investigates the learning problems in mathematics based on a combination of a cognitive approach and results and concepts drawn from didactics.
The paper by Catherine Houdement and Edith Petitfour takes up the semiotics of Peirce and his followers, especially in Didactics of Mathematics, in order to investigate the efficiency of manipulating material objects. As one knows, it is a widespread idea that teaching practices which insist on the manipulation of “concrete objects” guarantees an instruction which lead more easily towards the abstract, and thus towards knowledge. The teaching, relative to which the paper presents observations and analyses, concerns three students aged 12 to 13 years, at the Medico-Educational Institute, and makes use of a material made of sticks and chalks in view of facilitating students’ learning of decimal numbers. The activity presented in the paper bears on the study of how each of the observed students uses this material in different ways, and with more or less efficiency, in order to fill in a table representing forms for ordering chalks. This underlines the great sensitivity to signs that is found in special education students. The analysis of how they relate to the objects and the tables is conducted based on the concepts of semiotic dissonance and procedural bifurcation, taking into account, for each of the three students, the nature and the effects of the scaffolding provided by the teacher.
The paper by Florence Peteers is based on her thesis and investigates the tests given to students at the end of first grade, or somewhat later, and considers the beginnings of the study of numbers based on two different sources: research in didactics on the learning of numbers, and numerical cognition. Among the evaluated tests, four are used in a school setting; these are based on didactical results and have no diagnostic purpose. The six other tests are used in medical or paramedical settings, in order to identify students’ learning difficulties in mathematics. A comparative analysis of these two types of tests enables the authors, first of all, to show that the tests based on didactics focus on the functions of numbers, while those coming from neuroscience aim more at the evaluation of analogue representations. The author then proposes a testing format in four parts, given to 18 students aged 7-9, and divided in three categories: students with no difficulty, students who reportedly have difficulties but without these being diagnosed, and students with difficulties that are also diagnosed. The paper discusses the obtained results. It places the development of the format in larger framework of the teachers’ identification of difficulties in the initial learning of numbers, and the communication between the teacher and the speech therapist.
We wish you happy reading of these three papers, which testify to the variety of research themes and theoretical frameworks that appear in the French-speaking community of research in didactics of mathematics.
Editorial (ES)
El número 40/2 de la revista Recherches en Didactique des Mathématiques reúne tres artículos que tienen en común el interés, cada uno a su manera, por las dificultades de aprendizaje de los estudiantes.
Estas dificultades pueden referirse, como es el tema del artículo propuesto por Patricia Marchand, a la conversión de los conocimientos generales en conocimientos matemáticos: el artículo examina el caso particular de la dialéctica entre los conocimientos espaciales y geométricos. En él se detalla la experiencia de un proyecto de investigación colaborativo realizado a nivel de escuela primaria en Quebec sobre un tipo de enseñanza que tiene por objeto promover el aprendizaje de ciertos conocimientos espaciales. Patricia Marchand presenta el marco teórico que construyó para identificar el concepto y seguidamente desarrollar el conocimiento espacial en los estudiantes en paralelo con el conocimiento geométrico. Los estudiantes siguen un proceso iterativo en varios niveles de abstracción que la autora describe cronológicamente en términos de abstracciones arqueológicas, fotográficas y escenográficas. La experimentación descrita en el artículo utiliza un « tangram » cuya forma evoluciona para hacer trabajar a los alumnos de primer ciclo de primaria en los diferentes niveles de abstracción. Los anexos muestran el mismo tipo de experimentación, esta vez en geometría en el espacio y para alumnos de 14-15 años. La autora sitúa su investigación en un movimiento más amplio que, según dice, se está desarrollando en Canadá y en los Estados Unidos y que ha tomado el nombre de « espacialización del programa de estudios ». La modelización didáctica de la noción de currículum fue uno de los temas de la 20ª Escuela de Verano de Educación Matemática. Estos trabajos podrían arrojar luz sobre las ampliaciones de la obra previstas por la autora.
Sin dejar de tener en cuenta su relación con las matemáticas, las dificultades de los estudiantes pueden atribuirse principalmente al conocimiento en sí mismo: en el artículo de Patricia Marchand, la modelización geométrica del espacio sensible es una dificultad de aprendizaje bien conocida. El punto de vista desarrollado en los dos artículos que siguen, el de Catherine Houdement y Edith Petitfour por un lado y el de Florence Peteers por otro, es diferente y parece centrarse más en el alumno. El primero se refiere a la educación especial y cuestiona el papel de ayuda u obstáculo que desempeña el material manipulativo por parte de los estudiantes con dificultades durante una sesión de enseñanza sobre la numeración decimal. El segundo, que trata de un objeto relacionado – el concepto de número – cuestiona las dificultades de aprendizaje de las matemáticas basándose en la intersección de un enfoque cognitivo y los resultados y conceptos de la didáctica.
El artículo de Catherine Houdement y Edith Petitfour reúne la semiótica de Peirce y sus usuarios, en particular en el campo de la didáctica de las matemáticas, con el fin de cuestionar la eficacia del uso de material manipulativo. Es bien sabido que una idea bastante extendida es que las prácticas de enseñanza que insisten en la manipulación de « objetos concretos » son garantía de una enseñanza que asegura un camino más fácil hacia lo abstracto y por lo tanto hacia el conocimiento. La enseñanza, que el artículo relaciona con la observación y el análisis, involucra a tres estudiantes de 12-13 años que siguen su formación en un Institut Médico-Educatif (institución donde se atienden niños y adolescentes discapacitados con deficiencia intelectual), utilizando un material hecho de palos y tizas, que se supone facilita su aprendizaje de la numeración decimal. El trabajo descrito en el artículo se refiere al estudio, para cada uno de los alumnos observados, de la utilización diferenciada, y más o menos eficaz, del material y su utilización para completar tablas de doble entrada que representan hojas de comandas de tizas. El estudio enfatiza la gran sensibilidad de los alumnos a los signos en la educación especial. El análisis de la relación con el material y los cuadros se realiza mediante los conceptos de disonancia semiótica y bifurcación de procedimientos, mientras que se tienen en cuenta la naturaleza y los efectos del apoyo del profesorado a cada uno de los tres estudiantes.
El artículo de Florence Peteers, basado en su tesis, examina las pruebas para estudiantes al final del CP (primer curso de la primaria), o incluso un poco más allá, sobre el enfoque de los números, y proviene de dos marcos diferentes: por un lado, la investigación en didáctica sobre el aprendizaje de los números y, por otro lado, la cognición numérica. De las pruebas analizadas, cuatro se utilizan en el ámbito escolar, se basan en los conocimientos de la didáctica y no tienen un objetivo de diagnóstico, mientras que otras seis pruebas se utilizan en los sectores médico o paramédico y sirven para identificar las dificultades de los niños en el aprendizaje de las matemáticas. Un análisis comparativo de los dos tipos de pruebas muestra en primer lugar que las pruebas basadas en la didáctica hacen hincapié en las funciones de los números y las de las neurociencias están más orientadas a evaluar las representaciones. La autora propone un conjunto de tests consistentes en cuatro módulos que se pasaron a 18 alumnos de 7 a 9 años, divididos en tres categorías: sin dificultades, con dificultades declaradas sin haber sido diagnosticadas, con dificultades y diagnosticadas como tales. El artículo analiza los resultados obtenidos. Éste sitúa el desarrollo del sistema en el marco más amplio de la identificación por parte del profesor de las dificultades relacionadas con el aprendizaje inicial del número y la facilitación de la comunicación profesor-logopeda.
Les deseamos una buena lectura de estos tres artículos, que atestiguan la variedad de temas de investigación y marcos teóricos movilizados por la comunidad francófona de la didáctica de las matemáticas.