Les trois articles que le lecteur découvrira avec ce numéro 41/1 de la revue Recherches en Didactique des Mathématiques abordent le même thème : celui de l’enseignant.
Mobilisant des cadres théoriques différents – l’approche documentaire pour l’article de Chantal Tufféry-Rochdi, la Théorie des Situations Didactiques (TSD) pour celui de Claire Guille-Biel Winder, la Théorie Anthropologique du Didactique (TAD) pour celui de Karine Bernad –, ils donnent à voir, de manière convergente, l’étude de « pratiques enseignantes » à partir d’observations réalisées dans des contextes et sur des objets d’enseignement relativement éloignés les uns des autres. Pour le premier, dans le cas d’un dispositif co-disciplinaire pour des élèves de 15-16 ans ; pour le deuxième, à partir d’une ingénierie didactique en géométrie pour des élèves de 6-7 ans ; pour le troisième, dans le cadre d’un Parcours d’Etude et de Recherche (PER) sur l’enseignement des nombres relatifs pour des élèves de 12-13 ans.
Cependant, tous s’intéressent aux habitudes professionnelles enseignantes ; que l’on tente de repérer leur évolution, et donc le « développement professionnel enseignant », ou au contraire que l’on étudie leur stabilité, y compris dans la mise en œuvre de formes didactiques relativement inédites au sein du système, ou encore que l’on analyse leur impact sur les possibilités d’apprentissage des élèves.
Les articles de Chantal Tufféry-Rochdi et de Karine Bernad s’intéressent plus particulièrement à l’enseignant au sein de dispositifs innovants implantés au sein du système éducatif français.
La contribution de Chantal Tufféry-Rochdi prend appui sur un enseignement d’exploration intitulé « Méthodes et Pratiques Scientifiques » en classe de seconde (élèves de 15 à 16 ans), qui promeut l’engagement des élèves dans une Démarche d’Investigation faisant écho au courant international de l’Inquiry-Based Science Teaching. La nécessité de pratiques nouvelles concernant la pluridisciplinarité, le travail collectif, la démarche de projet, l’initiation à la démarche scientifique, provoque-t-elle ou non le « développement professionnel » d’un professeur de mathématiques ? Le cas d’un professeur est détaillé dans l’article. Celui-ci fait face à une double nécessité : d’une part se confronter à un ensemble de ressources inédit concernant le thème « Science et investigation policière » pour concevoir ses propres ressources ; d’autre part diriger l’étude des élèves au sein d’équipes associant des professeurs d’autres disciplines (physique-chimie et sciences de la vie et de la nature). Chantal Tufféry-Rochdi conclut son article par l’important « changement de paradigme d’enseignement » que constitue pour les professeurs le pilotage d’une démarche d’investigation auprès d’élèves.
Depuis une vingtaine d’années au sein des systèmes éducatifs, un tel changement de paradigme ne peut guère s’accomplir qu’à partir d’avancées et de reculs tous deux souvent douloureux. Ce changement suppose une réforme fondamentale de l’enseignement, comme l’analysait encore Yves Chevallard, dans le volume 39/1 de cette même revue. C’est précisément ce qu’étudie l’article de Karine Bernad. Elle met en évidence les besoins professionnels nécessités par la prise en mains d’un Parcours d’Etude et de Recherche (PER) sur l’enseignement des nombres relatifs. A partir de l’observation de deux professeurs, elle montre le poids des praxéologies didactiques qui leur sont propres, mais qui ne sont guère que l’expression d’un modèle didactique dominant, soit ce que Guy Brousseau désigne du terme « d’épistémologie pratique des enseignants », et qui gêne la mise en œuvre effective de ce PER. Les professeurs continuent de privilégier les moments d’institutionnalisation du bloc technologico-théorique réalisés par eux-mêmes et le travail de la technique, au détriment de la dimension exploratoire et de l’élargissement du topos des élèves. Parmi les besoins professionnels pour un enseignement sous forme de PER, Karine Bernad relève ceux qui concernent un rapport idoine à l’infrastructure mathématique, notamment à la vigilance épistémologique à exercer sur l’organisation mathématique de référence, et ceux qui portent sur l’infrastructure didactique ; notamment la prégnance du phonocentrisme et de la péjoration de l’écrit, en tant que contrainte venue du niveau de la société.
C’est précisément l’impact du discours de l’enseignant sur les situations d’enseignement et d’apprentissage qu’étudie l’article de Claire Guille-Biel Winder. L’originalité de l’analyse tient au lien établi entre le langage de l’enseignant et les niveaux de la structuration du milieu, telle que modélisée en TSD, dans lesquels sont alors placés les élèves. Sont observés deux professeurs enseignant une ingénierie didactique bâtie autour d’une figure carrée, le PLIOX. Constituée elle-même de quatre carrés de couleurs différentes, les élèves de première année d’école élémentaire (6-7 ans) doivent, par pliage et à partir du PLIOX, réaliser d’autres figures géométriques telles que des carrés, rectangles, etc. L’analyse des actions des professeurs et de leurs interactions langagières avec les élèves montre que pour la même situation PLIOX de départ, l’un permet aux élèves de réaliser la tâche mais sans rencontrer une situation d’apprentissage, les connaissances et savoirs étant relégués au second plan, tandis que l’autre conduit les élèves vers un milieu de référence à partir duquel les élèves ont la possibilité de devenir apprenants.
On retrouve en ce point, et le plus souvent à leur corps défendant, le poids des paradigmes dominants tels qu’ils s’expriment de manière différenciée ou au contraire de façon prégnante, dans les pratiques enseignantes. Ce qui laisse ouverte la question des conditions sociales et de formation, tant mathématique que didactique, pour la prise en mains effective et l’impact des ingénieries didactiques de développement conçues par les didacticiens.
Nous souhaitons également dans ce numéro rappeler la mémoire de notre collègue François Pluvinage, décédé le 23 mars 2020. Celui-ci était un membre très actif de la communauté de recherche en didactique ; il avait encore co-écrit un article publié dans le numéro 39(3) de RDM en 2019. Des textes en hommage à François Pluvinage figurent sur le site des Annales de Didactique et de Sciences Cognitives, https://mathinfo.unistra.fr/irem/publications/adsc/.
Nous vous souhaitons bonne lecture de ce numéro.
EDITORIAL (EN)
The three papers that the reader will find in this issue 41/1 of the journal Recherches en Didactique des Mathématiques treat a common theme: that of the teacher.
Deploying different theoretical frameworks – the documental approach for the paper by Chantal Tufféry-Rochdi, the Theory of Didactical Situations (TDS) for that by Claire Guille-Biel Winder, and the Anthropological Theory of the Didactic (ATD) for that by Karine Bernad – they exhibit, in parallel ways, the study of « teaching practices » based on observations carried out in contexts and with teaching aims that are relatively far from each other. For the first paper, the case of a co-disciplinary teaching for 15-16 year old pupils; for the second, a case of didactical design in geometry for 6-7 year old pupils; for the third, the setting of a Study and Research Path (SRP) in the teaching of integers to 12-13 year old pupils.
However, they all focus on the professional habits of teaching, whether trying to identify their evolution, and thus “the professional development of teachers”, or on the contrary studying their stability, such as during the implementation of didactical formats that are relatively unknown in the educational system, or as when analyzing their impact their impact on the opportunities of learning for pupils.
The papers by Chantal Tufféry-Rochdi and Karine Bernad are, more specifically, concerned with the teacher as he implements innovative formats in the context of the French educational system.
The contribution by Chantal Tufféry-Rochdi is based on a mode of explorative teaching called “Scientific Practices and Methods” in the first year of upper secondary school (pupils aged 15-16), that seeks to engage pupils in Actions of Investigation, echoing the international trend of Inquiry-Based Science Teaching. Does the necessity of this new practice, related to multidisciplinarity, collective work and projects, lead to “professional development” of a mathematics teacher, or not? The case of one teacher is presented in the paper. He is faced with a double necessity: on the hand, he must engage with a collection of unpublished resources concerning the theme “Science and Criminal Investigation”, in order to craft his own resources. On the other, he has to direct the study of pupils with teams that involve teachers of other disciplines (physics-chemistry and life science). Chantal Tufféry-Rochdi conclude her paper by pointing out the important “change of teaching paradigm” which it takes for teachers to direct the act of investigation by their pupils.
For the last twenty years or so, it appears that such a change cannot be realized without steps forward and backwards that are both often painful to take. The change requires a fundamental transformation in teaching, analysed also by Yves Chevallard in issue 39/1 of this journal. This is exactly what is studied in the paper by Karine Bernad. She exhibits the professional needs arising when directing a Study and Research Path in the teaching of integers. Based on observations of two teachers, she demonstrates the weight of their didactical praxeologies, which are specific to them but also reflect a dominant didactical model, or what Guy Brousseau called “the practical epistemology of teachers”, and which inhibits their realization of this SRP. The teachers continue to emphasize their own institutionalization of the technologico-theoretical block, as well as the work on the technique, at the cost of the explorative dimension and the extension of the topos of the pupils. Among the professional needs entailed by the SRP format of teaching, Karine Bernad points out those that concern a proper relationship to the mathematical infrastructure, in particular the epistemological vigilance to be observed with regard to the reference mathematical organization, and those that concern the didactical infrastructure, in particular phonocentrism and the pejoration of writing, as a constraint coming from the level of society.
The paper by Claire Guille-Biel Winder studies, exactly, the impact of the teachers’ discourse on the situations of teaching and learning. The originality of her analysis lies in the link she identifies between the language of the teacher and the levels of structuration of the milieu (in the sense of TDS) in which pupils are placed. Two teachers realizing a didactical design built around a square type figure, the PLIOX. This figure is itself made up of four squares of different color, and first grade elementary school pupils (6-7 years old) are supposed to construct other geometric figures like squares, rectangles etc., by folding the PLIOX. The analysis of the actions of teachers, and of their language interactions with the pupils, show that for the same initial situation involving the PLIOX, the teachers’ actions enable pupils to solve the task without encountering a learning situation, as their knowledge it put in the background. However, the language interactions lead students towards a reference milieu that offer pupils the opportunity to become learners.
We recover at this point, and most often against the will of the teachers, the weight of those dominant paradigms, which are variously reflected or even openly expressed in teaching practices. This opens the question of social conditions and of teacher education, both mathematical and didactical, in relation to allowing an effective realization and impact of didactical designs constructed by didacticians.
In this issue, we would also like to recall the memory of our colleague François Pluvinage, who passed away on March 23, 2020. He was a very active member of the didactic research community; he had co-authored an article published in RDM 39(3) in 2019. Texts in tribute to François Pluvinage can be found on the Annales de Didactique et de Sciences Cognitives website, https://mathinfo.unistra.fr/irem/publications/adsc/.
We wish you happy reading of this issue.
EDITORIAL (ES)
Los tres artículos que el lector descubrirá en este número 41/1 de la revista Recherches en Didactique des Mathématiques tratan del mismo tema: el del docente.
Movilizando diferentes marcos teóricos -el enfoque documental en el artículo de Chantal Tufféry-Rochdi, la teoría de las situaciones didácticas (TSD) en el artículo de Claire Guille-Biel Winder, y la teoría antropológica de lo didáctico (TAD) en el artículo de Karine Bernad- muestran el estudio de « prácticas docentes » basándose en observaciones realizadas en contextos y en objetos de enseñanza relativamente dispares. El primero se sitúa en un contexto de enseñanza interdisciplinaria para alumnos de 15-16 años; el segundo, estudia una ingeniería didáctica sobre geometría para alumnos de 6-7 años y, el tercero aborda un recorrido de estudio e investigación (REI) sobre la enseñanza de los números relativos para alumnos de 12-13 años.
Sin embargo, todos los trabajos se interesan por las prácticas profesionales de los docentes; ya sea para identificar su evolución, y por lo tanto el desarrollo profesional del mismo, o, por el contrario, si se estudia su estabilidad, ya sea en el marco de la aplicación de formatos relativamente nuevos de enseñanza dentro del sistema educativo, o en términos del impacto sobre el aprendizaje de los alumnos.
Los artículos de Chantal Tufféry-Rochdi y Karine Bernad se centran en el estudio de las prácticas docentes en el marco de los dispositivos innovadores implementados en el sistema educativo francés.
La contribución de Chantal Tufféry-Rochdi se basa en un proceso de enseñanza exploratorio titulado « Métodos y prácticas científicas » en el segundo año de la escuela secundaria (estudiantes de 15 a 16 años), que promueve la participación de los estudiantes en un proceso de investigación en consonancia con la tendencia internacional del Inquiry-Based Science Teaching. La cuestión que subyace el trabajo es: ¿la implementación de nuevas prácticas docentes tales como la pluridisciplinariedad, el trabajo colectivo, el enfoque por proyectos, la iniciación al enfoque científico entre otros, provoca o no el « desarrollo profesional » de un profesor de matemáticas? Para ello se detalla el estudio del caso de un docente. Este se enfrenta a una doble necesidad: por una parte la de diseñar recursos propios a partir de un conjunto de recursos disponibles en relación con el tema « Ciencia e investigación policial », y, por otra parte, la de dirigir el estudio de los estudiantes con un equipo docente que incluye a profesores de otras disciplinas (física y química y ciencias de la vida y naturales). Chantal Tufféry-Rochdi concluye su artículo con el importante « cambio de paradigma en la enseñanza » que representa para los profesores la gestión de un proceso de investigación con los estudiantes.
En los últimos veinte años aproximadamente, este cambio de paradigma en los sistemas educativos sólo puede lograrse mediante avances y retrocesos, a menudo, traumáticos. Este cambio presupone una reforma profunda de la enseñanza, como analizó Yves Chevallard en el volumen 39/1 de esta misma revista. Esto es precisamente lo que el artículo de Karine Bernad examina. El trabajo, destaca las necesidades profesionales que requiere la introducción de un REI sobre la enseñanza de los números relativos. Basándose en la observación de dos docentes, muestra el peso de sus prácticas didácticas, que no son más que la expresión de un modelo didáctico dominante, es decir, lo que Guy Brousseau denomina « epistemología práctica de los profesores », y que dificulta la aplicación efectiva de este REI. Los docentes siguen favoreciendo los momentos de institucionalización del bloque tecnológico-teórico realizado por ellos mismos y el momento del trabajo de la técnica, en detrimento de la dimensión exploratoria y la ampliación del topos de los alumnos. Entre las necesidades profesionales en la implementación de un REI, Karine Bernad señala las que se refieren a una relación adecuada con la infraestructura matemática, en particular a la vigilancia epistemológica que debe ejercerse sobre la organización matemática de referencia, y las que se refieren a la infraestructura didáctica; en particular la importancia del fonocentrismo y el deterioro de la palabra escrita, como una limitación procedente del nivel de la sociedad.
Es precisamente el impacto del discurso del profesor en las situaciones de enseñanza y aprendizaje lo que examina el artículo de Claire Guille-Biel Winder. La originalidad del análisis radica en el vínculo establecido entre el lenguaje del profesor y los niveles de estructuración del medio, en el sentido de la TSD, en el que se sitúan los alumnos. En el estudio se observan dos docentes que implementan una ingeniería didáctica construida alrededor de una figura cuadrada, el PLIOX. Compuesto por cuatro cuadrados de diferentes colores, los alumnos del primer año de la escuela primaria (6-7 años) deben, doblando y utilizando el PLIOX, crear otras figuras geométricas como cuadrados, rectángulos, etc. El análisis de las acciones de los docentes y sus interacciones lingüísticas con el alumnado muestra que, para la misma situación inicial de PLIOX, uno permite a los alumnos realizar la tarea, pero sin generar una situación de aprendizaje, quedando los conocimientos y habilidades relegados a un segundo plano, mientras que el otro conduce a los alumnos a un entorno de referencia en el que tienen la oportunidad de aprender.
Es en este punto que se pone de manifiesto, no sin reticencias, el peso de los paradigmas dominantes los cuales aparecen bien de forma diferenciada o, por el contrario, de manera más clara, en las prácticas docentes. Esto deja abierta la cuestión de las condiciones sociales y formativas, tanto matemáticas como didácticas, para el manejo efectivo y el impacto en las ingenierías didácticas de desarrollo concebidas por los investigadores en didáctica.
En este número, también queremos recordar la memoria de nuestro colega François Pluvinage, fallecido el 23 de marzo de 2020. Fue un miembro muy activo de la comunidad de investigación didáctica; más recientemente, coescribió un artículo publicado en el número 39 (3) de RDM en 2019. Los textos en homenaje a François Pluvinage aparecen en el sitio web Annales de Didactique et de Sciences Cognitives. https://mathinfo.unistra.fr/irem/publications/adsc/.
Esperamos que disfrute de la lectura de este número.